
Numérique en santé à l’horizon 2030 – Partie 2 :
Quel futur souhaitable pour les dispositifs d’évaluation de la qualité des soins ?
Poser son regard sur les enjeux éthiques du numérique dans le processus d’évaluation de la qualité des soins conduit à réfléchir collectivement et à imaginer comment nous voudrions être soignés en 2030. Cette logique impose une vision intégrant des zones d’incertitudes et la prise en compte de réalités contraignantes et durables pour chacun des acteurs.
« Et de tous temps aussi on a dit qu’à côté des vérités que nous trouvons faites il en est d’autres que nous aidons à se faire, qui dépendent en partie de notre volonté. »
Henri Bergson
Les enjeux éthiques du numérique en santé sous le prisme des acteurs institutionnels –
Partie 2
La prudence et le courage pour agir au mieux
La prudence et le courage sont nécessaires pour agir au mieux sachant que chaque décision présentera son lot d’avantages et de risques. Qu’est qui fait sens pour la société aujourd’hui ? Comment définir la justice ? Comment définir un cadre ou des normes dans un environnement qui implique d’être agile et prudent ?
L’acteur institutionnel se retrouve à devoir gérer l’incertitude avec des connaissances parfois contredites au fil des découvertes de situations inédites.
Quelles normes, quelle normativité, quels effets « domino » à chaque prise de décision ?
Il est amené à s’interroger avec la société civile sur les impacts de ses décisions : par quels prismes observons-nous les situations ? et maintenant, que fait-on ? Comment faire pour bien faire ? Comment discerner la juste approche dans des contextes changeants ou l’incertitude prévaut ?

Le nécessaire questionnement éthique
Le questionnement éthique du numérique le conduit à repenser son action et à demeurer vigilant devant ces technologies de rupture que personne ne maîtrise véritablement.
Alors que le cadre normatif se doit d’évoluer pour préserver les valeurs présentes dans la société, il est également essentiel qu’une appréciation la plus éclairée possible soit conduite en continu pour ne pas priver les citoyens d’une technologie leur permettant une meilleure qualité de vie [1] et des soins de qualité au bon moment et avec un coût maîtrisé. « Visée de la vie bonne, avec et pour autrui, dans des institutions justes [2] »
S’agissant de la justice, quelles sont les valeurs à retenir entre les critères de résultats et les critères de moyens ou d’opportunités ? Faut-il privilégier les critères de résultats invitant à l’amélioration de l’état de santé des patients souffrant des maladies les plus graves, dont l’espérance de vie en bonne santé (prise en compte du nombre de QALY [3]) est la plus courte, ou retenir les critères de moyens ou d’opportunités qui conduisent plutôt à considérer l’amélioration de l’état de santé des individus pour lesquels cet état de santé a le plus d’impact sur leur mode de vie en général avec des conséquences sur leur épanouissement personnel ou professionnel.
Entre la formule « chacun compte pour un et pas pour plus d’un » le décideur peut aussi souhaiter appliquer des principes égalitaristes en matière d’allocation des ressources publiques en tenant compte des territoires[4] et de la situation de certains individus en particulier. Cette logique implique qu’il soit en mesure de discriminer parmi les individus et les territoires ceux qui sont les plus défavorisés. Cela suppose également une gestion transversale des soins et services et une organisation en réseau qui dépasse le cadre des établissements sanitaires.
[1] Document de travail Valeurs de références pour l’évaluation économique en santé, revue de la littérature, HAS, décembre 2014 : « Si les méthodes d’évaluation disponibles mettent en perspective les résultats de santé et les coûts des interventions dont la comparaison est médicalement pertinente, elles sont insuffisantes pour juger de leur efficience lorsque les ressources disponibles sont restreintes. Dans ce cas de figure, une intervention est efficiente si la valeur du bénéfice qu’elle géneère est supérieure à la valeur du bénéfice généré par une utilisation alternative des ressources collectives qui lui seraient consacrées ». (…)
[2] Cf Aristote
[3] QUALY : Quality Adjusted Life Years. Un QALY représente une année de vie en bonne santé. Le nombre de QALY d’un individu est donc une mesure du nombre d’années qu’il lui reste à vivre en bonne santé. Il traduit donc à la fois la longévité et le niveau de santé attendus.
[4] La Responsabilité populationnelle repose sur un modèle d’intégration clinique visant le triple objectif d’une meilleure santé, une meilleure prise en charge, au meilleur coût, pour une population définie. Elle se déploie par des programmes cliniques élaborés par l’ensemble des acteurs de santé d’un territoire. Ce modèle est expérimenté dans cinq territoires volontaires, dans le cadre de l’article 51 de la LFSS 2018, sur les populations atteintes et à risque de diabète de type 2 et/ou d’insuffisance cardiaque. Rassemblant près de 1.5 millions d’habitants, ces cinq territoires constituent le prototype du système de santé de demain -source FHF.

Repenser éthiquement la notion d’efficience
Repenser éthiquement la notion d’efficience est indispensable, pour éviter de laisser penser que la logique éthique est contradictoire avec la logique gestionnaire. Mais l’amélioration de l’efficience n’est qu’un moyen parmi d’autres au service d’une stratégie de durabilité de notre système de santé. Elle est donc obligeante, d’un point de vue éthique.
Le développement des algorithmes et des bases de données[1] participe à la construction de politiques publiques sur la base de données collectées. Comment ne pas perdre de vue la singularité de chaque patient dans un système de santé fragilisé ? La codification permet de sélectionner mais également d’exclure des données qui représentent des individus. Le risque d’une médecine à plusieurs vitesses doit être anticipé pour garantir une médecine juste et égalitaire sans discrimination aucune.
Comment faire des choix moralement acceptables et identifier entre ce qui est bien et ce qui est mal ? « Agis donc de telle sorte que tu traites l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre, toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen[2]».
[1] Depuis avril 2017, la France a mis en application le principe de l’Open Data, avec le déploiement du SNDS. Il regroupe les données de l’assurance maladie, celles en provenance des établissements de santé, les causes médicales de décès, les données relatives au handicap et un échantillon de données de remboursement d’assurance maladie complémentaire. Toute personne physique et toute personne morale publique ou privée, à but lucratif ou non lucratif, peut accéder aux données du SNDS sur autorisation de la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL), en vue de réaliser une recherche, une étude ou une évaluation présentant un intérêt public.
[2] Citation Emmanuel Kant Fondements de la métaphysique des mœurs 1785, trad. Victor Delbos, Paris, Le Livre de Poche 1993.